dimanche 8 octobre 2023

Lettres Sumériennes

Une nouvelle qui en reprend une autre : "Au fond du jardin", texte déformé sur Wordpress. J'ai formulé l'accusation, sans véritable preuve, que ces déformations servaient peut-être à attribuer certains de mes textes et de mes images à d'autres. Voici un texte découvert sur Twitter/ X  qui confirme mes soupçons: https://twitter.com/Chouny111/status/1710850344152891699

L'histoire d'une parution : Je relie cet article, je publie. J'ai un problème avec mon ordinateur portable. Je passe sur mon téléphone, le texte est altéré. Je décide de travailler sur l'ordinateur familial. Je me connecte à nouveau, et là, ô surprise, le texte est restauré. J'essaie de publier la mise à jour et obtient le message: échec de la mise à jour.

 

Interlude  Bizarreries&co


Ô messager, la nuit, comme une averse d'orage frappe
Le jour comme une averse d'orage éclatant élance-toi
En-me-er-kar, poème sumérien, extrait

L’été a rendu l’âme. Je jette un coup d’œil par la fenêtre, à la frange d’arbres et aux branches nues qui hachent l’horizon. Depuis quelques jours le ciel a viré au blanc. Posé sur le rebord de ma table de chevet un souvenir d'enfance m'observe, la tête d'une poupée dont le regard bleu et impassible me force à me rappeler: tes mots en anglais, nos lettres échangées par mails.

2012 : Nous parlions du calendrier maya, de Sumer, de la fin du monde. On nous promettait le déluge raconté dans les mythes sumériens. Et puis, comme une blague, le monde a continué de tourner. 

Tourne et tourne encore.

J'ai fini par t'écrire un mail fébrile où je laissais entendre qu'une histoire d'amour sur internet est ridicule. Tu as simplement répondu que tu voulais me rencontrer.

Nous nous sommes aimés dans un langage secret, sacré, un langage saccagé.

Je me rappelle les bons moments quand tu me racontais tes aventures de môme. Tu avais grandi dans une famille un peu hippie  parmi les bois de l'Oregon. Tu aimais faire la cuisine et je goûtais aux recettes américaines. Nous plaisantions désormais de 2012 et du déluge.

Puis j'examine les vilains détails: les disputes, les chamailleries. Je me souviens de nos mots butés. 

"I can't stand it anymore", concluais-tu à chaque fois. 

J'avais voulu te montrer le jardin de mon enfance, t'emmener respirer l'odeur du tilleul et de la menthe, ne trouvant rien de mieux à faire que de te décrire les mauvais gestes de ma mère, le désamour de mon père, le harcèlement que j'avais enduré à l'école. J'avais retrouvé ma poupée, celle dont j'avais sauvagement arraché la tête, à peine le jouet offert.

Je t'avais déjà un peu parlé des maltraitances que j'avais subi enfant, mais cette vielle baraque laissait remonter trop de mauvais souvenirs. J'ai compris que tu n'avais pas envie de t’encombrer de mes fragilités. Je l'ai vu dans ton regard, à ton mutisme. Nos lettres avaient cédé la place à une histoire trop lourde. L'après-midi, nous fermions les volets pour empêcher à la chaleur de rentrer. Nous évoluions dans une pénombre silencieuse.

Depuis mon lit ,j'étends le bras, effleure la joue de la poupée. Le plastique a grisonné avec le temps. J'ai peut-être un ami ou deux qui voudraient prendre de mes nouvelles. Pourtant rien ne se passe. De temps en temps je parle à la tête et elle me répond.

Je décide de lui raconter la nuit où Marc m'a fait peur.

Nous attendions la fraicheur de l'orage.

La nuit était tombée mais l'air était encore tiède. Il embaumait la menthe. Au fond du jardin,  j'avais cru discerner une ombre.

" Marc, c'est toi?"

Pas de réponse. Rien. Seulement le crissement des grillons. Mes yeux me jouaient des tour. Je m'en allais tourner le dos quand j'ai perçu un mouvement, comme un remous de l'air tiède et immobile.

" Réponds s'il te plait."

Il me suffisait d'aligner quelques pas pour rejoindre le tilleul et vérifier par moi-même. Mais, soudain, j'avais peur. Je voulais que tu répondes. Un éclair a illuminé le lointain. Dix seconde plus tard, un faible grondement s'est fait entendre. D'un coup, le vent s'est levé.

" Marc, rentre. L'orage approche."

Les grillons s'étaient tu. Le silence était maintenant totale. Une silhouette s'est détachée de celle du tilleul, massive et lente.

"Marc?"

Trop massive.

"Réponds, tu me files les chocottes..."

Trop lente.

À nouveau, un flash. Cette fois, j'ai seulement eu le temps de compter jusqu'à six avant le grondement. Une goutte d'eau tiède s'est écrasée sur mon bras, suivie d'une seconde. 

La masse  a vacillé dans l'obscurité.

"C'est toi? Réponds, s'il te plait." 

"That's me, that's Marc."

J'ai poussé un soupir de soulagement et t'ai rejoint au pied du tilleul. J'allais me jeter dans tes bras quand tu as fait un pas en arrière pour m'éviter.

Notre été, notre summer, venait d'être englouti par le déluge d'une pluie d'orage.

- Le monde n'en a pas moins continué de tourner, commente la tête.

- Si je ne lui en avais pas tant voulu, ce soir-là, peut-être serions-nous encore ensemble...

À force de regarder les hachures sur le ciel blanc, je suis prise de nausées. Je suis en arrêt maladie pour cause de dépression et je me sens incapable d'affronter le moindre problème.

-Tu interprètes trop, dit la tête. "I Can't stand it anymore ", combien de fois te l'a t-il répété ?

-Il avait tout quitté pour moi, les États-Unis, son travail...

-Tourne et tourne encore,  insiste-le bout de plastique.

 Par Anna Mindszenti-y Ouanani Coquelicot pour Bizarreries & Co

Pour en savoir plus sur le poème d'En-me-er-kar: https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1957_num_151_2_8697#

modifié, en cours de re--rédaction

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